Vie, violence
Fils de fondeur et de femme de ménage, Samuel Vuelta-Simon a réformé la lutte anti-drogue et géré la reddition d’ETA avant de devenir l’an dernier procureur de la République de Toulouse. Après 30 ans à naviguer entre terrorisme, faits divers et grand banditisme, il parle stups, violence, crime, éducation, lecture et Pays Basque, dans une conversation vaste et débridée qui tient toute entière dans ces vers de Nougaro : Vie, violence, ça va de pair. Les deux se balancent, paradis, enfer. (Propos recueillis avec J.Couderc)
📸 Rémi Benoit
Quelle idée vous faisiez-vous de Toulouse avant d’y devenir procureur de la République ? Très positive. Je n’y étais venu qu’en été. La brique du Sud, la chaleur, les rues pleines de vie. Les terrasses qui débordent même le lundi. Une ville presque espagnole, très italienne. Et puis le rugby, un sport qui me fascine et m’a donné des joies extrêmes. J’ai fait mes études à Bordeaux mais, bizarrement, je me suis toujours senti toulousain dans l’âme.
Avez-vous la même perception aujourd’hui ? Non. Toulouse est belle, bien sûr. Intéressante, pleine de richesses, de vie. Tout y est léché, pensé. Les gens y font preuve de beaucoup d’imagination et d’innovation. Mais cette ville est tendue. La tension y est permanente, depuis les comportements au volant jusqu’aux actes les plus extrêmes, les plus violents.
Que vous disent les autres magistrats de cet état de tension à Toulouse ? Ils s’y sont habitués. Ils disent que les choses ont changé depuis dix ans. Que des comportements qui n’existaient pas il y a dix ans sont désormais fréquents.
Jusqu’à atteindre le niveau de violence de Marseille ? La différence entre Marseille et Toulouse n’est pas dans l’intention, mais dans la fin. À Marseille, un règlement de compte en bas d’une tour, ça se fait à la Kalachnikov. Une rafale : trois morts. Ici, ça se fait au 9mm. Ce ne sont pas les mêmes dégâts. L’expérience des tireurs n’est pas la même non plus. À Marseille on confie ce genre de contrats à des professionnels. Ici les trafiquants s’en chargent eux-mêmes. À Marseille, une séquestration commence dans le coffre d’une bagnole et finit en barbecue. Ici ça commence dans le coffre d’une bagnole et ça finit le plus souvent par la libération du gars.
La drogue occupe donc une part prépondérante dans les violences de notre ville ? C’est un marché très lucratif qui concentre énormément de rivalités. Et dans ce genre de milieu, quand on veut se débarrasser d’un concurrent, on le flingue. C’est une réalité à part. On peut parfaitement distinguer les faits de violence liés à la drogue (règlements de compte, séquestrations etc.) et les faits de violence de subsistance ou de désarroi. Ils ne répondent pas aux mêmes logiques.
C’est-à-dire ? D’un côté il y a les stups. Les stups c’est un négoce. Un trafiquant a intérêt à ce que son point de deal soit calme et que son dealer livre sans problème. Moins il y a de policiers, mieux il se porte. Et moins il y a de grabuge et moins il y a de policiers. Un bon trafiquant s’assure donc de la tranquillité de son secteur. De l’autre côté, il y a les violences qui se manifestent par une délinquance de subsistance et de désarroi. Pas de revenu, pas de toit, pas d’aide. Des gens qui volent dans les supérettes, qui a 1H du matin vont dépouiller et tabasser une victime ivre à la sortie d’un bar, ou commettre des violences extrêmes. Ce n’est pas du même ressort.
Cette violence de subsistance est-elle répandue à Toulouse ? En ce moment on a de jeunes délinquants de Mostaganem. Toulouse a une longue histoire d’immigration avec cette ville algérienne, mais la situation est nouvelle. Auparavant, les délinquants de Mostaganem étaient récupérés par les organisations criminelles locales qui les mettaient à la vente, à surveiller, à faire la petite besogne. Ce qui change c’est que ces jeunes qui arrivent ont des velléités de s’emparer des points de trafic. Et dans la mesure où ces jeunes n’ont ici ni famille, ni attache, ni biens, et que leur objectif principal est de ne pas retourner dans leur pays, ils déploient une énergie et une violence sans limite pour y parvenir. Un jeune qui a grandi à Toulouse a toujours un papa, une maman, des frères, des sœurs, quelques biens, et donc beaucoup à perdre. Celui qui n’a rien ni personne qui lui soit cher ici, n’a strictement rien à perdre.
Quelles solutions ? La principale difficulté est liée au fait que l’Algérie refuse de récupérer ses ressortissants délinquants. Tant que la France ne parvient pas à trouver un accord avec l’Algérie pour leur renvoyer ces délinquants et oxygéner le circuit criminel, on peinera à ralentir le phénomène
Les stups, c’est LE problème toulousain ? La première menace, on la connaît, c’est le terrorisme. Dix ans après Merah, on redoute tous de revivre une période noire comme celle-là. Les stups, c’est la deuxième menace. Si on ne fait rien, on va au-devant de problèmes sociaux et sociétaux alarmants. Notamment de corruption… Si les trafiquants deviennent assez puissants pour organiser leur trafic, gagner beaucoup d’argent, instaurer une certaine crainte et se réfugier à l’étranger, ils auront dans 10 ans, peut-être même avant, d’immenses moyens de corruption.
La lutte contre ces trafics a-t-elle un sens à l’échelle locale ? Localement, nous sommes les courroies de transmission de la politique nationale. Donc oui, les actions locales ont un sens. À condition d’être inventif, de sortir de la logique de la saisie de drogue (qui n’est pas une fin en soi) de remonter vers les familles qui tiennent les trafics, de travailler avec les Espagnols, bref, d’appliquer la même méthode qu’un service central. Lire la suite