Plein soleil
Enfant de Ganties en Haute-Garonne, le physicien Félix Trombe a bâti en Cerdagne le plus grand four solaire du monde. Héritage de la politique volontariste de de Gaulle, cet outil impressionnant inauguré en 1969 fut un temps éclipsé par le tout-nucléaire. Les chercheurs du CNRS y ont repris du service au début des années 2000, à la faveur des crises climatique et énergétique. Ils y conçoivent désormais les centrales solaires de demain.
Odeillo ce matin a des allures kazakhes. Des chevaux lourds s’ébrouent dans des prés tout pelés. Pas un bruit à la ronde sauf un chien qui aboie après une Lada qui passe. Tout autour l’hiver fond dans un sorbet boueux. La parabole du four reflète à l’envers ce tableau bucolique. Ses 1830 m2 sont adossés à un immeuble de 40m de haut, dont l’architecture fin René Coty – début Charles de Gaulle offre un contraste cocasse au bâti montagnard.
Depuis l’extérieur on devine des tôles peintes plaquées sur les façades derrière des vitres épaisses. Elles captent le rayonnement solaire et en diffusent la chaleur à l’intérieur. Système astucieux qui tempère tout l’hiver, et depuis 50 ans, ce haut lieu de la recherche scientifique française : le bien nommé laboratoire PROMES, PROcédés Matériaux et Energie Solaire.
À midi, une odeur de confit se propage dans le hall. Des portes de labos et de bureaux s’entrouvrent, libérant techniciens, doctorants et chercheurs. Les voilà qui descendent par grappes au réfectoire. Parmi les convives, la chercheuse Françoise Bataille, directrice du PROMES depuis 2021, passée par la Nasa, l’Université de Floride et le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur. Son voisin de table est Gilles Flamant, chercheur émérite au CNRS, grand manitou de la recherche solaire françaises, et chercheur au four d’Odeillo depuis 40 ans.
Au menu, maquereau, canard aux figues et tarte aux poires. De vrais plats cuisinés par un vrai chef : « À une époque, ils ont voulu confier la cantine à une boîte de restauration collective industrielle, tonne Gilles Flamant entre deux bouchées. On a eu raison de s’y opposer. Aujourd’hui on est bien contents de donner dans le fait maison et les circuits courts. C’est à nouveau dans l’air du temps…»
Toute anecdotique que soit cette affaire de cantine, elle n’en est pas moins au diapason de l’histoire des lieux : celle d’un équipement de pointe des années 1960 décrété obsolète en 85 avant de retrouver son lustre au début du XXIe siècle. Rien de moins que le plus grand et le plus puissant four solaire du monde. 63 héliostats capables de suivre automatiquement la course du soleil, dont chaque miroir en projète l’image sur un gigantesque miroir parabolique de 40m de hauteur et 50 de large. Celui-ci superpose, accumule et concentre sur une même zone les images de l’astre fournies par les héliostats. Puissance : 1000 kilowatts. Température : jusqu’à 4000°C.
Grâce à cet équipement pionnier à vocation industrielle, la France a pris dans les années 1960 une longueur d’avance sur ses concurrents américains. L’avénement du nucléaire et la baisse du cours du pétrole ont pourtant failli avoir raison de lui : « Les programmes solaires se sont arrêtés en 85. On nous a dit : “Le solaire, on s’en fout !” Le labo s’est sauvé en réorientant les recherches sur les matériaux haute température et la recherche spatiale, en particulier le programme Hermès » tremble encore Gilles Flamant. Et le chercheur d’évoquer le renversement des années 2000, avec la question climatique qui remet brusquement le solaire au cœur des priorités du CNRS : « Ils m’ont dit “Débrouille-toi comme tu veux, mais si tu ne reviens pas au solaire, on ferme le labo !” »
Fameuse Thémis
20 ans plus tard, les recherches du PROMES portent sur des secteurs stratégiques : « Nous travaillons sur les matériaux haute température pour l’énergie et l’espace, sur les centrales solaires de nouvelle génération, sur les questions de stockage et de chimie solaire, égraine Françoise Bataille. Les travaux sont menés à Odeillo, Perpignan, et dans la centrale Thémis de Targassonne. »
Cette fameuseThémis, érigée en 1981 à quelques kilomètres d’Odeillo, est un autre fleuron de la recherche française. Elle aussi à l’avant-garde, elle aussi abandonnée dans les années 1980, elle connaît elle aussi une nouvelle jeunesse depuis que le Département des P.O. et la Région Occitanie en ont relancé l’activité pour la recherche, le tourisme scientifique et l’éducation à l’environnement. « Thémis était en 1981 la première centrale solaire de ce genre dans le monde : un champ d’héliostats réfléchissant le rayonnement du soleil en haut d’une tour. On était à la pointe, on avait la technologie bien en main…et on l’a arrêtée en 1986 ! Les centrales à tour qui produisent aujourd’hui aux États-Unis, fonctionnent encore avec cette technologie. Que de temps perdu ! » se désole Gilles Flamant. Lire la suite