Toulouse, territoire perdu de la poésie

Comme la saucisse, le bel Canto, la violette et les gros avions, la poésie est une vieille spécialité toulousaine. Pourtant, ici, tout le monde s’en fout. En mars, le printemps des poètes est passé inaperçu. En mai, la remise des prix de l’Académie des jeux floraux a subi le même sort. Et il y a quelques jours, l’attribution au poète toulousain iconique Serge Pey, du grand prix de poésie de la Société des gens de lettres (honorable institution fondée par Balzac, Dumas, Sand et Hugo) n’a ému personne. D’où ce tour d’horizon lacunaire de lieux et de gens qui s’emploient à faire vivre la poésie à Toulouse, en vers et contre tout.

📸 Matthieu Sartre

Arrêtez un Toulousain au hasard place Wilson. Demandez-lui quel personnage est représenté par la statue recouverte de pigeons qui trône au centre de la place. Immanquablement, il répondra : le président Wilson. Mancat ! Il s’agit de Pierre Goudouli, le plus grand poète toulousain de langue occitane.

Bien qu’anecdotique, la chose est révélatrice de l’étendue de notre ignorance en matière de tradition poétique toulousaine. Pourtant, la prédisposition des locaux pour la poésie ne date pas d’hier. On la fait généralement remonter à 1323, date de la création de l’Académie des Jeux floraux, même si les joutes verbales sont une tradition plus ancienne encore.

Depuis le XIVe siècle, cette institution (la plus ancienne société savante d’Europe) distingue des poètes d’expression française ou occitane, en leur remettant des fleurs, chaque année au printemps. Une distinction dont Victor-Hugo fut, à 17 ans, l’heureux récipiendaire.

Aujourd’hui, ses membres siègent à l’hôtel d’Assézat, dans un salon renaissance tapissé de portraits peints. Là, dans le tic-tac des pendules et le craquement du parquet, son secrétaire perpétuel, Philippe Dazet-Brun, Béarnais au costume étriqué et à l’esprit large, nous a conté l’histoire de l’Académie : « Les Jeux floraux ont été créés par sept Toulousains, marchands, banquiers, damoiseaux ou hommes de loi. Ce sont des gens qui, après l’humiliation de la croisade des Albigeois, ont trouvé un moyen d’exister par le ressort de la langue. Car si on peut vous prendre votre terre, on ne peut pas voler votre langue. Là réside l’essence de la poésie toulousaine. »

Malgré ses efforts, cet idolâtre de René Char ne peut que déplorer la diminution régulière du nombre de textes soumis chaque année à l’Académie. 600 il y a 25 ans. 200 aujourd’hui. Bien sûr, demeurent des motifs de satisfaction, à commencer par la jeunesse de certains lauréats, mais les candidats ne se bousculent plus au portillon, surtout les Toulousains.

Celle-dont-on-ne-doit-pas-dire-le-nom

Incontestable berceau de la poésie toulousaine, l’Académie des jeux floraux n’en a pas l’apanage. Elle partage la vedette avec une autre institution, la Cave Poésie, située rue du Taur, qui oppose à l’aristocratie ventripotente de sa rivale, son inspiration libertaire et soixante-huitarde. Fondée en 1967 par le comédien gersois René Gouzenne… Lire la suite

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