Pesquet, l’odyssée de l’époque

Comme tout le monde, nous avons vécu ces six derniers mois au rythme du séjour spatial de Thomas Pesquet, l’ancien élève de l’école toulousaine Supaéro devenu le dixième français dans l’espace. Comme tout le monde, on a souri de le voir interpréter Lapitxuri au saxo, imiter Michael Jordan, grignoter un Choco BN, voter par procuration, faire des selfies, porter un bonnet à pompon, jouer avec une mandarine, regarder le tournoi des 6 Nations à la télé, tourner un clip pour Yuksek, parler chaussettes avec Karl Lagarfeld ou basket avec Tony Parker. Et, comme tout le monde, maintenant qu’il est de retour, on a l’impression d’avoir un peu dessoûlé. Désormais, on se demande ce qu’il est vraiment allé faire là-haut, et on se dit qu’à trop vouloir communiquer, il est peut-être passé (et nous avec) à côté de l’essentiel. Comme le principal intéressé était encore en apesanteur au moment de notre enquête, nous avons soumis ces interrogations de béotiens à des spécialistes de la chose spatiale. Bien nous en a pris, car leurs réponses, souvent enthousiastes, parfois courroucées, nous renseignent autant sur l’espace que sur l’époque.

📸 Matthieu Sartre

Omar Sy ferait bien de surveiller ses arrières. Son statut de personnalité préférée des Français est en danger, menacé par un spationaute encore inconnu il y a un an, devenu la coqueluche de tout un pays… Mais attention, pas un spationaute à la papa, du genre mûr, militaire, solennel et sujet au doute. Non, un spationaute à la cool, du genre jeune, civil, familier et infaillible. Il s’appelle Thomas Pesquet, et à défaut d’être le premier spationaute français à conquérir l’espace, il est incontestablement le premier à avoir conquis les cœurs.

La mission est toujours la même. Ce qui a évolué, ce ne sont pas les enjeux scientifiques mais les moyens de communication En un peu plus de six mois à bord de la Station spatiale internationale, ce Normand de 39 ans, ceinture noire de judo, pilote de ligne et diplômé de l’école d’ingénieurs toulousaine Supaero, a changé radicalement l’image que les Français avaient des vols habités. Sa recette : drôlerie, simplicité, disponibilité, et communication à outrance orchestrée par une équipe de l’Agence spatiale européenne (ESA) chargée de partager, packager et diffuser ses faits et gestes.

À la limite de l’overdose, diront certains, lassés de ne pouvoir ouvrir un journal (y compris Boudu, qui publiait en janvier dernier des photos de la terre prises par Thomas Pesquet depuis l’ISS) ou surfer sur un site d’info sans tomber sur une image du spationaute en train de manger, de dormir, de travailler, de bouquiner ou de contempler le vide par le hublot de la station. Une tâche à ce point prenante pour les communicants de l’ESA, qu’il était impossible, ces dernières semaines, d’obtenir le moindre entretien avec l’un d’entre eux.

En guise de rendez-vous, on recevait par email cette réponse aux petits oignons : « Nos équipes au sol se trouvent bien occupées par les préparatifs du retour de notre astronaute. […] Il n’est malheureusement pas possible d’envisager un entretien malgré l’intérêt certain de votre article, dont nous ne pouvons d’ailleurs que féliciter l’initiative. » À défaut d’ESA, nous aurons les autres.

À commencer par des personnalités rangées des navettes et disposant d’un peu de temps pour évoquer la question en détail. Démarrons avec Patrick Baudry, le deuxième spationaute français, qui a séjourné une semaine dans l’espace à bord de Discovery en juin 1987.

L’homme ne cache pas son courroux : « Je trouve tout ça grotesque ! La com’ est bien huilée, c’est certain. Pour Thomas, c’est extrêmement positif, mais j’aurais préféré qu’on utilise cette com’ dans un cadre conquérant qui fasse progresser la science. Soyons sérieux. Ça nous a coûté 120 millions, et on a rien foutu là-haut. Ça n’est rien d’autre que du tourisme spatial, à ceci près que les touristes, eux, ne sont pas financés par nos impôts. »

Et l’ancien conseiller d’Aérospatiale pour les vols habités d’expliquer que, scientifiquement parlant, tout a déjà été expérimenté en orbite basse dans les années 1970 et 1980, et que dès lors, chaque fois qu’on y envoie quelqu’un, c’est « du vent ». Lire la suite

Précédent
Précédent

Toulouse, territoire perdu de la poésie

Suivant
Suivant

Droit au brut