Think Temps

En 2014, une douzaine de chercheurs des trois universités toulousaines se sont lancés un défi inouï : Proustime. Un projet de recherche sans pipette ni logiciel de modélisation où sciences exactes, art et sciences humaines fusionnent pour répondre à cette question simple et pourtant irrésolue : qu’est-ce-que le temps ? À l’origine de ce projet, Isabelle Serça, professeur de littérature à l’Université Jean-Jaurès, spécialiste de Proust et de la ponctuation. Une pointure qui s’est prêtée pour BOUDU au jeu de la vulgarisation, avec des mots simples, des idées fortes, et une bonne dose d’autodérision.

📸 Matthieu Sartre

Pourquoi Proustime ?

Pour essayer de définir le temps. Ça peut paraître foutraque comme idée, mais c’est très concret. L’emprise du temps est de plus en plus forte sur nos vies. On manque de temps, on court après. On se réjouit de disposer de machines permettant de réagir « en temps réel », comme s’il existait un temps irréel. Et quand on nous envoie un email, c’est à peine si on ne nous demande pas d’y avoir répondu la veille. Toute notre vie, le temps nous manque. Et à la fin, il ne nous loupe pas.

N’existe-t-il pas déjà une définition satisfaisante ?

Les philosophes ont beau s’y casser les dents depuis l’Antiquité, le temps reste une notion primitive difficile à définir. D’où l’intérêt de construire un modèle transdisciplinaire du temps. C’est un peu pompeux, dit comme ça, alors parlons plutôt de confronter la vision du mathématicien, de l’astrophysicien, du physicien, de l’économiste, de l’historien, du chimiste ou du linguiste. C’est intéressant parce que les spécialistes ignorent généralement tout des autres disciplines. Moi, je ne connais rien à la chimie, rien à l’astrophysique… et pourtant j’ai envie de comprendre comment ces sciences se débrouillent avec le temps.

Si vous ne connaissez ni la chimie, ni l’astrophysique, quelle est donc votre spécialité ?

Je suis professeur de langue et littérature française, et spécialiste de Proust. Ce qui me passionne, c’est le style, et tous ces trucs minuscules qui n’intéressent que les rats de bibliothèque : les parenthèses, les virgules et ces machins qui sont comme de petites prises qui permettent de penser le temps. Des prises infimes, presque des leurres. Ouvrir une parenthèse, c’est suspendre le temps. On est bien, dans une parenthèse. On est libre. On profite d’une position d’extraterritorialité où les lois de la phrase n’ont plus cours. C’est cela ma spécialité : l’écriture du temps.

Et Proust dans tout ça ?

Quand Proust porte la madeleine à sa bouche, c’est comme s’il ouvrait une parenthèse : par le souvenir que son goût lui évoque, il est à la fois dans le passé et le présent, comme libéré, en dehors du temps. Le temps est le personnage principal d’À la recherche du temps perdu. À moins que ce ne soit la mémoire, ce qui revient à peu près au même… Lire la suite

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