Lame gasconne
Les coupeurs de jambon sont des stars en Espagne. Ils signent des autographes et posent pour des selfies. En France ils sont moins célèbres et plus rares, mais on en a trouvé un. Il s’appelle Olivier Mongabure, coupe essentiellement du Noir de Bigorre, et se fait, comme d’autres autrefois de la France, une certaine idée du Sud-Ouest.
📸 Rémi Benoit
Il arrive pour la photo après trois jours de fête. Le mariage d’un copain à Gruissan. Il est pourtant plus frais que nous. Teint clair, barbe nette, chemise propre. Ça n’étonnera pas ceux qui ont déjà fait la noce avec lui : Mongabure est un as de la bringue. Pas un binge-drinker à l’anglaise ni un festayre en carton. Un endurant, un élégant, un esthète. Un qui sait boire et manger. Un qui distille son amour du Sud-Ouest en parlant Gers, ventrêche, vélo, émotion d’un grand-père, souvenir d’une croisée, carré de côtes, piémont des Pyrénées, bons gras, toiles de Chambas, vallons de Lavardens, vapeurs d’armagnac et bulles de poiré. À la fin de la nuit, quand l’ambiance retombe et que les ivres dorment, il plie un t-shirt ou une serviette de table pour s’en faire une montera. Puis, le plus sérieusement du monde, il torée en silence des fantômes de Miura.
C’est que pour lui fête et Sud-Ouest sont des affaires sérieuses. Pour preuve, ces considérations au moment d’installer son support à jambon : « Vous avez vu la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde ? Jean Dujardin, Joël Dupuch, Christian Constant ? La mise en scène, j’ai trouvé ça joli. Ça fonctionnait super bien. Mais quand même, ce paquito m’a dérangé. C’est spontané, un paquito. Ça se fait dans le prolongement d’un moment de fête. Dans un resto, un bistrot, une feria, et sans mise en scène. Mais là, au Stade de France, pour une cérémonie d’ouverture scénarisée… c’était complètement à côté. »
L’analyse n’est pas anodine. Elle dit son désir de partager le Sud-Ouest sans l’écorner, sans le brader, sans le folkloriser. C’est ce qu’il s’est attaché à faire 20 ans durant dans le sillage de Denis Méliet, restaurateur gersois qui façonna, jusqu’à sa mort en 2019, un modèle de restauration paysanne, gasconne et équitable, à l’enseigne du J’Go. C’est ce qu’il continue de proposer désormais comme artisan coupeur du consortium Noir de Bigorre.
Giscard dans la nuit
Mongabure était de l’aventure de Denis Méliet dès l’ouverture à Toulouse au milieu des années 1990. Puis il est monté à Paris (avec une poignée de gascons réunis autour du chef Régis Daudignan) porter la bonne parole du J’Go rue Drouot, puis rue Clément, au cœur de Saint-Germain-des-Prés.
C’est là, au-dessus du comptoir, qu’il a accroché avec Méliet les premiers jambons Noir de Bigorre de Paris, défendu inlassablement auprès d’une clientèle aisée, parisienne et souvent people, sa culture rurale et le travail des paysans, contesté avec pédagogie les jugements à l’emporte-pièce sur les agriculteurs pollueurs, expliqué aux Parisiens qu’il y a des vignerons de talent au sud-est de Bordeaux, appris à ses convives à préférer la graisse de canard au beurre, la gasconne à la charolaise, l’armagnac au cognac, le tarbais à la mogette, raconté ce qu’est un sol vivant, un doublon de Barèges, une éviscération à froid.
« C’était exotique pour eux, un peu trouble même. De là-haut, notre Sud-Ouest paraît flou. On pense Bordeaux ou Pays Basque. Heureusement qu’il y a le souvenir du Bonheur est dans le pré pour situer le Gers ! Nous, humblement, on est restés nous-mêmes. On n’a pas joué la caricature. On a essayé de ne pas singer les mecs du sud, mais d’en être. On a transformé ce restaurant en ambassade de la Gascogne à Paris, et tâché de fabriquer des souvenirs. C’est important pour moi, les souvenirs. J’aime créer des situations de plaisir à table, au comptoir ou autour d’un jambon, et sentir que ça imprime chez les gens. Dans ces cas-là je m’arrête une seconde et je me dis : “Olive, là, tu viens de créer un souvenir”. Et c’est comme un petit morceau d’éternité. »
Voilà le jambon débarrassé de la peau et des soies. Le coupeur attaque le jambon proprement dit, taille d’un geste docte des pétales marbrés. Les dispose en cercle dans une assiette. Sans lever les yeux de l’ouvrage il raconte les grandes bringues avec les paysans, chaque année en marge du salon de l’agriculture, les rencontres improbables entre vedettes du show-biz et éleveurs des Pyrénées.
On croise du rugbyman, du vigneron, du comédien, de l’artiste, de la star de téloche, même des toreros. Pierre Richard, Baer, Dujardin ou Chabat ont leurs habitudes au J’GO Saint-Germain. Pas pour être vus, il y a Le Flore ou La Closerie pour ça, mais pour manger et boire la Gascogne. Le dimanche, Vincent Cassel et Monica Belluci débarquent en loucedé des paparazzi pour mordre en famille dans le poulet rôti d’un éleveur d’Espas, dans le Gers, que leurs enfants adorent. Lire la suite