Ici Nougayork

Comme l’or maudit des Volques, l’épopée de l’Aéropostale et le supplice de Saturnin, l’histoire de Nougayork a acquis à Toulouse le statut de mythe identitaire. Une presque fable qui s’ouvre à Paris sur l’éviction de Nougaro de chez Barclay, se poursuit avec un bain de jouvence new-yorkais, et s’achève à Toulouse sur le retour triomphal de l’idole. 30 ans après les faits, Boudu radote cette revanche en l’enrichissant des témoignages de ses protagonistes. Et en prenant soin de ne pas trop distinguer la réalité de la légende.

Disons que ça commence en 1986, place de Clichy, à Paris. On est chez Charlot, le roi du coquillage. Mettons que dehors, il pleut. Nougaro dîne avec un proche, le producteur Mick Lanaro. Les deux hommes se connaissent depuis le début des années 1970 et l’enregistrement de Tu verras. Quelques jours plus tôt, un autre producteur, Philippe Constantin, a viré le Toulousain de chez Barclay : son dernier album, Bleu blanc blues, a déçu les comptables.

Bien sûr, la tournée qui a suivi a été un succès… mais il y a autre chose. Nougaro a 58 ans, et les temps changent. Les radios libres charrient un son nouveau venu d’Amérique. Et même s’il arrive dégueu- lasse et compressé sur la bande FM, il emporte toute la jeunesse sur son passage. Chez Charlot, Lanaro se désole de voir son ami broyer du noir : « J’aimais ce type au-delà du raisonnable, comme quelqu’un de ma famille. J’étais malheureux qu’il se soit fait virer de cette manière. »

Il lui confesse que ses propres enfants (et leur génération avec), ne connaissent pas ses chansons. Pire, qu’ils s’en foutent. Et lui énumère dans la foulée les disques qui tournent sur leurs platines : Al Jarreau, Madonna et Michaël Jackson. Les coquilles s'entassent.

Les verres se vident. Nougaro encaisse : « En trois heures, je l’ai persuadé de tout changer. Je sentais qu’avec un son di!érent, il accrocherait les jeunes. L’idée n’était pas de changer Claude, mais de bousculer tout ce qu’il y avait autour. » Sur le trottoir, Lanaro enfonce le clou : « Faut aller à New York mon pote ! Je connais un type là-bas, le fils du directeur artistique de CBS. Un musicien et compositeur extraor- dinaire. Il s’appelle Philippe Saisse. »

Sur le chemin du retour, quand il s’engage rue Caulaincourt, Nougaro est à quelques pas de sa maison de l’avenue Junot, mais à mille lieux d’imaginer la suite… Voilà New York. Celui d’avant Giuliani et d’avant le 11 septembre. Irréel, interlope, et debout comme dans Le voyage au bout de la nuit.

Claude Nougaro et sa femme Hélène y atterrissent en vacanciers. La légende prétend que les premiers jours sont difficiles. Que l’inspiration ne vient pas. Mais Hélène se souvient d’une atmos- phère bien différente : « Ce fut un séjour incroyable. On a fait du tourisme, on s’est imprégnés de l’énergie fabuleuse de la ville. J’y venais pour la première fois et je n’en revenais pas. On marchait beaucoup, on se perdait dans les rues, on visitait tout ce qu’on pouvait. Au début on logeait au Chelsea Hôtel, le mythique hôtel des artistes, puis chez Charlie Mingus. Contrairement à ce qu’on raconte, Claude ne se sentait pas au pied du mur. Il était même plutôt enjoué. »

Sur place, comme convenu avec Mick Lanaro, le compositeur et arrangeur Philippe Saisse les attend. Ancien élève du conservatoire de Paris, il s’est envolé pour Boston dans les années 1970 pour suivre l’enseignement de son idole, le vibraphoniste Gary Burton.

Quand le couple pousse la porte de son studio de Times Square, le Marseillais a déjà œuvré pour des pointures. Michael Warden, Shaka Kan, Al Jarreau et les Stones sont passés entre ses mains expertes et n’ont pas eu à le regretter. Ce que Nougaro ignore, c’est que Philippe Saisse le bade en secret : « À l’époque, il était, avec Gainsbourg, le seul français que j’aimais. Tous les autres étaient inécoutables. Gamin, j’avais assisté, ébloui, à certaines de ses répétitions. Je ne crois pas le lui avoir révélé, d’ailleurs. » Lire la suite

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