Con, mais bon
Chambas peint comme Rambo tue : rageusement et le front ceint d’un bandeau. Une manière de discipliner sa légèreté et sa chevelure, précieuses pour séduire mais superflues pour créer. L’enfant de Vic devenu champion de la figuration narrative et coqueluche du Tout-Paris, continue de fabriquer des images dans son atelier parisien. Il s’est plié pour Boudu à l’exercice de la conversation, dans ce registre faussement badin, toujours drôle et souvent grave, qui lui fit choisir chez Ardisson en 1989 cette formule pour épitaphe : “Con,mais bon.” (Paru dans Boudu)
Jean-Paul Chambas - Feria de Vic-Fezensac (archive perso)
Votre premier accrochage date de 1967. C’était à Toulouse, à la galerie Notre Temps, place Saint- Georges. Quel genre de jeune homme étiez-vous alors ?
Le genre qui n’aspire à rien d’autre qu’à peindre. Le genre qui veut être van Gogh ou rien. Le genre qui a 20 ans.
Quel genre de septuagénaire êtes-vous aujourd’hui ?
Je crois que je suis un imposteur. Il me semble d’ailleurs que tous les artistes éprouvent ces choses-là. Et ça n’est pas de la frime. On ne demande pas à un menuisier s’il sait faire un tenon ou une mortaise… Alors quand tu sais peindre, quand tu sais dessiner, tu ressens forcément ton travail comme une imposture.
Vous n’éprouvez donc aucune difficulté à créer ? Il n’existe rien au monde de plus exaltant que de peindre, quand ça marche.
Et quand ça ne marche pas ? C’est la violence du vide. L’impression que tes idées sont fausses, douteuses ou piquées à d’autres. Que tout est nul, plat. Que tout a été fait. Que tout a été dit. Que tu es un gros con qui profite de la culture et de la peinture des autres. C’est pire que l’angoisse. Et long… horriblement long. Ton regard se pose sur les choses, et tu ne parviens pas à faire en sorte que la cervelle peigne directement. Pourtant, j’aimerais peindre comme une grand-mère tricote : sans y penser.
Penser, c’est tricher ? La pensée est un danger total. Pour peindre, il faut annihiler ce qui existe entre la tête et le geste. Il peut m’arriver d’attaquer une toile dans une folle liberté, puis de me laisser rattraper par l’intention, la virtuosité. Et le plaisir d’être content de moi va me baiser. Et le résultat sera un tableau bien peint, donc raté.
Comment sortez-vous de ces impasses ? En suivant deux conseils : le premier d’Hemingway, le second de ma femme.
Que dit Hemingway ?
Il dit qu’il faut s’arrêter le soir avant d’avoir complètement épuisé son idée, de sorte qu’on sache quoi faire le lendemain matin. C’est un principe fondamental que j’ai toujours respecté, pour la peinture comme pour les décors de théâtre.
Et votre femme, que dit-elle ?
Pour tout problème, Catherine a une réponse d’une clarté terrible. Nous avons une relation fusionnelle. C’est une ancienne journaliste, elle s’occupait des pages culture de Libé. Une histoire d’amour à tout péter. Et puis… la vie. Elle est tombée malade. Et moi, je suis auprès d’elle. Je suis parasité d’une manière fort amoureuse par son état, parce qu’elle a été ma source, au sens de la source à laquelle tu t’abreuves quand tu as soif. Elle m’a beaucoup troublé et beaucoup aidé. Alors, quand je suis dans la merde, je lui demande quoi faire.
Donc, il y a des années de cela, pour une expo collective à la galerie du Luxembourg, comme j’étais un peu désemparé, je lui ai demandé conseil. Elle a eu cette réponse simple mais tellement appropriée : « Fais ce que tu sais faire ». Lire la suite