Uro déchu
En avril 2023, les Toulousains découvraient dans le journal une affaire insolite : la clinique Ambroise Paré mettait fin au contrat d’exercice libéral d’un chirurgien urologue renommé, Denis Dupuy, qu’elle employait depuis 20 ans. Motif : une scène de sexe gratinée tirée d’un roman autoédité par le médecin, dans laquelle le directeur assurait se voir dépeint. Sous le coup d’une plainte pour injure et d’une procédure ordinale, Denis Dupuy a quitté Toulouse cet été pour exercer dans le Lot. Avant de partir, il a reçu Boudu en consultation, révélant un toubib dévoué et hétérodoxe, un sexa fou de Céline, féru de moto, et idolâtre du capitaine Haddock. (Paru dans Boudu)
📸 Rémi Benoit
Avez-vous digéré votre éviction d’Ambroise Paré ?
On ne se fait pas virer sans regrets d’une clinique dans laquelle on a passé vingt ans. Sans verser dans le pathos, je dois admettre que l’année a été difficile pour ma famille. Et je ne parle même pas des patients : quand j’ai évoqué la permanence des soins auprès de la direction, elle a balayé le sujet d’un revers de main. Fallait-il vraiment que je dise aux gens que je ne pouvais pas opérer leur cancer parce qu’un directeur s’était reconnu dans une scène de roman ?
On vous a donc vraiment viré pour une scène de roman ?
C’est ce qui est mentionné dans la plainte, et c’est en ces termes que l’affaire a été présentée au Conseil de l’Ordre. La direction me reproche une scène qui, de son point de vue, porte préjudice à l’image de la clinique.
Il faut dire que cette scène est plutôt salée…
Mon objectif, avec ce livre dans lequel tout est fictif, était de tout lâcher sur un ton d’imprécation à la manière de Bloy ou de Céline. C’était ça l’idée, dire en gros : « Vous faites tous chier ! » Les lecteurs, eux, l’ont bien saisi. Quant au passage en question, je l’ai écrit comme un pastiche de la scène d’À la Recherche du Temps Perdu dans laquelle le narrateur surprend le baron de Charlus en plein ébat homosexuel. Le titre du livre évoque un brûlot de Céline.
Ne pensez-vous pas que la chose a contribué à faire paniquer la direction ?
Je reprends dans le livre le style outrancier des Bagatelles pour un massacre de Céline pour mieux lui opposer mon antiracisme. C’est tout à fait clair à la lecture. De toute façon, ils ne savent pas de quoi on parle. Pour le directeur, Céline est une chanteuse canadienne.
Reconnaissez tout de même que la profession du héros (chirurgien urologue) et le nom de sa clinique (Ardoise Pavée) prêtent à confusion…
La scène est outrancière et glauque, et la clinique du roman est un vrai cauchemar. Si le directeur se reconnaît là-dedans, ce n’est pas une bonne nouvelle pour le groupe qui l’emploie. La vérité c’est qu’on m’a viré après 19 ans de travail irréprochable parce qu’on a confondu fiction et réalité. Pire, on a essayé de me faire endosser les propos du héros… Condamne-t-on Hergé parce que Haddock a trop bu ? Par ailleurs, je suis chirurgien, pas romancier. Comment évalue-t-on un médecin dans une clinique ? Sur les résultats de ses interventions chirurgicales ou sur ce qu’il écrit à côté ? Lire la suite