La prise femelle du Vignemale
Au panthéon des gloires pyrénéennes, on avait oublié Anne Lister. Mais en 2020, à la faveur du succès mondial de Gentleman Jack, la série produite par la BBC et HBO inspirée de son journal intime, Pyrénéens et Britanniques ont découvert son histoire inouïe. Cette Anglaise fut à la fois la première lesbienne moderne assumée, et la première à conquérir le Vignemale au nez et à la barbe du fils aîné d’un maréchal d’Empire. C’est dire si notre époque est propice au retour en grâce de ce personnage épatant.
S’il vous prend un de ces jours l’envie de gravir le Vignemale, vous le ferez sans doute en empruntant la voie dite de la Moskowa. Un nom qui renvoie immanquablement au Maréchal Ney, héros de la Révolution et de l’Empire, que Napoléon surnommait « le brave des braves » parce qu’il était brave, et ses camarades « le rouquin » parce qu’il était roux.
Le titre de prince de la Moskowa lui fut accordé par l’Empereur en remerciement de sa conduite héroïque au cours de la campagne de Russie, et en compensation de la balle qu’il y reçut dans le cou. Ce n’est pourtant pas son souvenir qu’entretient la voie du Vignemale mais celui de son fils aîné Joseph.
Ce grand amateur de courses en montagne triompha du sommet le 11 août 1838. Ce jour-là, perché à 3298 mètres d’altitude, on l’a vu célébrer son exploit avec ses guides, parmi lesquels Henri Cazaux. Si Ney avait été plus attentif au sourire de Cazaux, il y aurait sans doute décelé le rictus inquiet des faux-culs. Car le 7 août, à cette même place, ce dernier fêtait la véritable première conquête du Vignemale avec une Anglaise issue de la bonne société du Yorkshire. Mais tout à sa joie, Ney n’y vit que du feu, et Cazaux se garda bien de révéler l’imposture.
D’une part pour toucher la juste rémunération de ses services, d’autre part parce qu’annoncer au fils d’un maréchal d’Empire qui a mené la charge à Waterloo, qu’il a été doublé par un Anglais (pire par une Anglaise) ce sont des choses qui ne se font pas… Lire la suite