Féru de Fauré

Parmi les excentricités dont le Canada a gratifié le monde (au premier rang desquelles la poutine et les bagarres ritualisées des parties de hockey) Chilly Gonzales occupe une place à part. Ce pianiste montréalais se présente invariablement sur scène en peignoir et pantoufles, cultivant l’art du contraste : en brouillant les pistes entre classique, pop et rap. (Paru dans Boudu)

📸 Victor Picon

Derrière cette décontraction de façade se cache un mélomane d’une rare sophistication. Son talent protéiforme, récompensé par quatre Grammy Awards, l’a mené à des collaborations avec Daft Punk, Feist ou Drake. Même le cinéma s’est emparé de ses doigts experts pour incarner les mains de Gainsbourg dans le biopic de Joann Sfar.

Chouchou du festival Piano aux Jacobins aussi bien que de la scène underground berlinoise, il exerce une influence considérable sur la musique pop d’aujourd’hui. Son album Solo Piano, sorti en 2004, a ouvert la voie à la génération actuelle de pianistes néoclassiques dont la crème cartonne sur les plateformes de streaming, et la lie meuble le silence des ascenseurs.

Revendiquant une curiosité sans œillères pour toutes les musiques, des plus savantes aux plus populaires, il a publié en 2020 Plaisirs non coupables (Flammarion). Dans cet essai détonant, il prend la défense des musiques dites faciles ou coupables et s’appuie pour cela sur le cas d’Enya, cette chanteuse irlandaise qui a vendu plus de 80 millions d’albums avec ses nappes de synthétiseurs éthérées et ses mélodies raillées pour leur simplicité apparente et leur côté apaisant.

Il s’interroge au passage sur le fossé entre nos goûts innés et ceux façonnés par notre environnement social. Ce plaidoyer pour une appréciation musicale, libérée du snobisme et des postures faciles, trouvera un écho chez quiconque a déjà hésité à confier ses préférences musicales pour ne pas passer pour un naze.

Cette liberté et cette approche décomplexée expliquent en partie son attachement aux outsiders plutôt qu’aux premiers de cordée. C’est dans cet esprit qu’il a choisi d’ouvrir chaque concert de sa dernière tournée en date par la Romance sans paroles n°3 de Gabriel Fauré, réarrangée pour son album French Kiss (2023). Sa présentation du morceau sur scène est d’ailleurs révélatrice : « Je vais commencer par un morceau que j’ai réarrangé parce que la partition originale est trop dure à jouer. Ça s’appelle Romance sans paroles n°3 de mon compositeur préféré : Gabriel Fucking Fauré. » Cela méritait bien une petite explication… Lire la suite

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