Debeaux lendemains
Fin janvier, à la faveur d’une tribune signée dans Libé par des pontes de l’architecture, les Toulousains ont appris que la caserne Vion, devant laquelle ils passent depuis 50 ans sans la voir, constitue une merveille du patrimoine. Cette redécouverte du chef-d’œuvre de Pierre Debeaux, architecte commingeois injustement oublié, survient au moment où la Ville met la caserne en vente, dans un contexte polémique qui crispe élus, assos et savants.
📸 Sébastien Vaissière
Depuis le trottoir de l’allée Charles-de-Fitte, on n’en perçoit presque rien. Tout juste un portique en béton barré de ces 18 lettres argentées : « caserne Jacques-Vion ».
La façade cache pourtant un site époustouflant quoique fané, qui occupe près d’un hectare en plein Saint-Cyprien. On y trouve une tour d’habitation de douze étages, un gymnase, une piscine, une fosse de plongée, un auditorium, une cour d’honneur, un hall gigantesque, des ateliers, des bureaux, et une tour de séchage et d’entraînement.
Un ensemble de bâtiments pensés à la fin des années 60 pour les pompiers et leurs familles, révélant chacun à leur manière une part du génie et de la maîtrise technique de Pierre Debeaux.
Car s’il est une chose qui fasse consensus à propos de cette caserne, c’est bien la virtuosité de son concepteur : « C’était un génie, génie qui confine comme toujours a une certaine folie » se souvient le philosophe et architecte toulousain Stéphane Gruet.
Aline Tomasin, présidente de la Société savante Les Toulousains de Toulouse et ancienne conservatrice régionale des Monuments historiques, est au diapason : « La caserne est une œuvre exceptionnelle. Une composition d’autant plus importante qu’elle est le fruit du tandem que Debeaux formait avec l’architecte en chef de la Ville : Roger Brunerie. »
Né à Mazères-sur-Salat en 1925, Debeaux était un pur talent local : membre de l’agence toulousaine des 3A, diplômé des Beaux-Arts de Toulouse en 1950, il a réalisé six écoles pour la Ville, dirigé les travaux d’extension de l’observatoire du Pic du Midi, conçu la flèche du monument à la Résistance, le château d’eau de l’hôpital Marchant, et bâti dans la région des maisons remarquables.
Mais la véritable signature de ce fou de maths, de géométrie, de musique et de Cervantes, c’est la caserne Vion. Roger Brunerie, qui était un ami proche, lui en avait confié l’exécution en le laissant jouir d’une liberté totale : « On n’est pas ici dans une architecture pragmatique ou à l’économie, mais dans la recherche, les mathématiques, la géométrie, la création pure » avertit Stéphane Gruet, par ailleurs professeur à l’école d’architecture de Toulouse.
À ses élèves, ce dernier raconte parfois comment Debeaux fascinait ses admirateurs au comptoir du bistrot Saint-Sernin où il avait ses habitudes. Il y esquissait à main levée, sur un coin de table, la structure du dôme de Sainte-Sophie de Constantinople : « Certains l’adulaient, d’autres s’en détournaient parce qu’il était difficile à suivre, à comprendre… » tempère Gruet dans un sourire. Lire la suite