Caboteur
Dans un essai paru chez Tròba Vox, Alem Surre Garcia épuise la question de la convivéncia occitane, cette idée complexe trop souvent réduite au vivre-ensemble. À 80 ans, cet érudit polyglotte, essayiste, dramaturge, enseignant, conférencier, traducteur et poète, écrit et court le monde pour propager sa vision de la culture occitane héritée des troubadours. Une conception tournée vers le sud et l’orient, qui préfère les marges aux centres, et le cabotage aux grandes traversées. (Paru dans Boudu)
📸 Rémi Benoit
Quelle est l’origine de la convivéncia ?
La définition basique est celle du latin convivere : cohabiter, vivre ensemble. Le dictionnaire espagnol en propose une autre : vivir unos y otros con buena armonía. Si on s’en tient là, c’est sans intérêt. Pas plus, en tous cas, que le vivre-ensemble, ce concept tarte- à-la-crème dont les politiques français usent comme s’il s’agissait d’un mot magique.
Pourquoi sans intérêt ? Parce qu’on peut vivre ensemble sans se connaître. Parce qu’on peut vivre un moment sympa de convivialité sans avoir ren- contré son voisin. Et parce que cette définition ne pose pas les questions essentielles : pourquoi vivre ensemble, comment vivre ensemble, et que faire de ceux qui ne veulent pas « vivre ensemble »?
Qui ?
Les errants, les gitans, les ermites, les nomades… De quand date la première apparition du substantif convivéncia dans l’acception qui nous intéresse ? On le lit pour la première fois en 1948 sous la plume de l’historien espagnol Américo Castro. Il travaille alors sur al-Andalus. Au cours de ses recherches, il découvre que pendant le califat de Cordoue, au Xe siècle, il y a eu un essai (je dis bien un essai, ne fantasmons pas) de faire coexister, ou mieux, de faire convivre, les trois religions (judaïsme, christianisme, islam) et des populations qui parlaient, mangeaient, et vivaient différemment. Castro a baptisé cette tentative convivéncia.
Quelles étaient ces populations ?
Des conquérants arabes et berbères, des Espagnols, des catholiques, des juifs, des esclaves, des Wisigoths, des Byzantins… Le califat de Cordoue ne dépassait pas le nord de Saragosse.
Quel rapport avec les pays d’Oc ?
Dans les années 1950, les occitanistes étaient proches des Catalans de Barcelone. L’idée de convivéncia est donc arrivée aux oreilles des universitaires de Montpellier, au premier rang desquels Charles Camproux. Cet occitaniste et fédéraliste européen convaincu a reconnu dans la convivéncia décrite par Castro un ressort typique de la société occitane.
Sur quoi a-t-il fondé son analyse ?
Il a estimé que l’Occitanie a été perpé- tuellement traversée par des peuples différents au cours de son histoire, et que sa position de carrefour a conduit les peuples à s’intégrer mutuellement et à vivre ensemble. Cela ne s’est pas fait sans violence, mais la culture des pays d’Oc n’en est pas moins porteuse de ces strates de population. Ce cosmopolitisme d’hier est intéressant pour penser la société d’aujourd’hui. Lire la suite