Occitanie, patrie de la chanson

Trenet, Brassens, Perret, Nougaro, Cabrel, Zebda, Bigflo&Oli… la liste des auteurs compositeurs interprètes d’Occitanie devenus des emblèmes de la chanson française est longue comme le bras. Certains sont carrément entrés de leur vivant dans le patrimoine culturel du pays, coupant eux-mêmes les rubans inauguraux d’écoles, de plaques ou de places qui portent leur nom. Où chercher l'explication de ce particularisme régional ? Dans la vieille inclination des locaux pour la poésie ? Dans la langue ? Dans l’oralité ? Dans l’accent ? Dans l’air ? Dans la terre ? Dans l’eau du canal du Midi près duquel ont grandi tous les artistes susnommés ? Dans le goût de la transmission ? Sur les bancs où les mémés prennent le frais les soirs d’été ? Sur un fil invisible reliant vieux et jeunes, Occitans et Ibères, troubadours et Berbères ? Sans doute dans tout cela à la fois, comme le découvrira quiconque prendra la peine de lire ce qui suit. (Paru dans Boudu)

Illustration Laurent Gonzalez

Silence au bout du fil. Pierre Perret reste coi. Il a pourtant l’habitude des questions à la con et des demandes incongrues. Il est rodé aux phrases du genre « Allez Pierrot, chante-nous le zizi ! » et aux « S’il vous plaît, dîtes-nous des gros mots rigolos! »

En près de 60 ans de carrière, le surdoué de la chanson populaire né à Castelsarrasin, repéré par Boris Vian, encouragé par Brassens, lancé par Jacques Canetti (comme Piaf, Trenet, Aznavour, Béart, Nougaro…) et propulsé au sommet des hit-parades par des dizaines de tubes inoubliables, ne s’est jamais dégonflé devant une question de journaleux. Mais celle-ci l’enquiquine un peu.

Aussi, pour s’assurer de l’avoir bien comprise, il la reformule à sa façon : « Vous voulez savoir pourquoi en Occitanie on est balèzes en chanson ? Eh bien, je vais vous le dire, sarkozyse-t-il. Tout tient à la musicalité de la langue. Quand j’avais 8 ans je traînais dans le café de mes parents. Les conversations, les accents, les expressions, les blagues, les jurons, tout y était musical. La rhétorique de bistrot du Sud-Ouest, c’est une musique en soi et déjà de la chanson. J’ai emmagasiné sans le savoir des phrases, des rythmes, des airs et des sujets qui nourrissent encore mon répertoire. »

Les propos éthyliques attrapés au comptoir prédisposant Perret à la conversation, son père l’a inscrit très jeune à un cours de déclamation avant de l’envoyer au conservatoire de Toulouse dans les années 1940. Là, on lui a enseigné la diction et appris à perdre l’accent du Sud-Ouest : « Je ne l’ai pas récupéré depuis, constate-t-il. Preuve qu’on peut être un chanteur du Sud-Ouest sans accent, et rencontrer le succès ! »

Charles Trenet en visite à Toulouse en 1947 - fonds Jean Dieuzaide – Mairie de Toulouse, Archives municipales, [84Fi5]

Enfance phare

Hakim Amokrane, lui, n’a pas appris à le perdre. Membre fondateur du groupe toulousain Zebda avec son frère Mustapha, il travaille avec ce dernier à la mise en musique de textes inédits de Nougaro pour un album à paraître en octobre. Pour lui, l’accent toulousain explique en partie le caractère universel de certains succès de Zebda : « Quand tu as un accent comme le mien, tonitrue-t-il en faisant sonner son “mien” comme Rostropovich faisait vibrer son ut, t’as pas 36 solutions. La première fois que tu t’écoutes chanter sur un enregistrement, il te faut encaisser le coup. Après, soit tu essaies de l’atténuer, soit tu décides que c’est bien comme ça. Nous, on a décidé de trouver ça cool. »

Et son frère de poursuivre : « L’accent ne fait pas tout. Il y a la langue, aussi. La langue qu’on pratique, à Toulouse et en Occitanie, est taillée pour la chanson parce qu’elle est imagée et amusante. L’expression tomber la chemise, vient tout droit de l’occitan. Motivé, c’est pareil ; c’est d’ici. Nougaro lui-même truffait ses chansons de formules et de phrasés typiquement toulousains. Et pour des raisons qui nous échappent, ce parler touche les gens à Paris, à Lille, à Strasbourg. Nous, on s’inscrit dans cette tradition de la chanson française populaire et universelle. Celle qui accompagne la vie et décrit les moments simples qui font danser, rire, pleurer. Et il y a certainement chez les gens d’ici quelque chose qui les prédispose à la transmission des émotions universelles par la chanson, par l’oralité. De Trenet à Nougaro et jusqu’aux gars d’aujourd’hui, la clef, c’est l’oralité. » Lire la suite

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