Collioure, nombre et lumière
Berceau du fauvisme, tombeau de Machado et carte postale de Méditerranée préservée, Collioure attire chaque année 3,5 millions de touristes. Le village n’est pourtant pas taillé pour la foule, et si les questions du stationnement et du coût de la vie empoisonnent la vie locale depuis des décennies, le seuil de tolérance des Colliourencs semble désormais atteint.
📸 Sébastien Vaissière
Enfoncé dans son fauteuil de maire, Guy Llobet fait la moue. C’est que l’édile goûte moyennement le substantif surtourisme. Pas tant pour le phénomène qu’il désigne que pour son mépris de classe sous-jacent : « Ceux qui l’emploient ne le font pas sans arrière-pensée, et la ségrégation sociale n’est jamais loin. Or, à Collioure, le visiteur au RSA est le bienvenu, au même titre que le banquier de chez Rothschild. Le premier mange une glace, le second une langouste, mais les deux prennent le même plaisir à être ici. Un village béni des dieux comme le nôtre doit se partager. »
Dehors il est vrai, le tableau est superbe. En haut le Fort Saint-Elme toise les anses sur fond de ciel bleu. À ses pieds des vignes et des chênes-liège dégringolent jusqu’aux façades colorées. Et la mer vient lécher le tout Guy Llobet, maire de Collioure surtourisme dans la lumière jaune et transparente de mai.
La même lumière, probablement, que le jour où Matisse a débar- qué à Collioure en mai 1905. Avec Derain, il a jeté ici les bases du fau- visme en peignant des vues du village aujourd’hui suspendues au Metropolitan museum, à l’Ermitage ou à Beaubourg. C’est comme cela que la France et le monde ont entendu parler de Collioure au début du XXe siècle, au temps où ce village de pêcheurs d’anchois sentait la saumure et pas les grandes vacances.
Aujourd’hui, 3,5 millions de touristes s’y massent chaque année. Les logements, constitués à 68% de résidences secondaires (souvent en Airbnb), s’y négocient entre 4500 et 15 000 euros le m2. Le foncier est rare, la commune peu étendue, et 540 de ses 1300 hectares sont en site classé. Autant dire que les familles locales n’ont aucune chance de s’y installer.
Pour éviter la fermeture de classes, la mairie n’a d’ailleurs d’autre choix que la construction de logements sociaux. L’été, même les 650 saison- niers peinent à trouver un toit. Lire la suite