Anglicismes, l’overdose ?

Nul besoin d’être un académicien vétilleux, un gentil Québécois ou un vilain réactionnaire pour constater l’emprise croissante des anglicismes sur la société. Vivre à Toulouse suffit.

On y bâtit le Meett et la ligne Toulouse Aerospace Express, on y instagrame la skyline du dôme de La Grave, on s’y rue aux events by La Tribune autour de la Smart City, on y est fier de la Toulouse School of Economics et de son Prix Nobel, on y trouve un job sur le hub régional Digitalskills, on s’y cultive avec le Pass culture Yummy, on y déjeune au Foodstore de l’Alimentation, on y paie son bus avec Pass Easy, on y visite l’expo Age of Classics au musée des antiques, on y fonce au ski dès que le site web de l’office régional du tourisme annonce « Big Snow sur les Pyrénées ! », on y fait, comme ailleurs, des brainsto, des briefs, des slides, on y save the date par email et on s’y engage par sms à se rappeler asap… bref, on y parle la langue de l’époque, et on ne voit pas où est le problème.

Les signataires d’une tribune assassine publiée sur le sujet dans Le Monde voilà quelques semaines (parmi lesquels des locaux dont Serge Pey et Michel Serres), voient pourtant dans ce recours systématique aux anglicismes un phénomène de substitution irréversible, et qualifient en substance ceux qui s’en rendent coupables de frimeurs, de délinquants et de collabos. Du Capitole à la BBC, de Pau à Lavelanet, Boudu a recueilli sur ce sujet le sentiment général des enseignants, politiques, intellectuels, citoyens, entrepreneurs et communicants. Voici le résultat de ce tour d’horizon, étrange forum de papier où s’amalgament les résistants, les fatalistes, les révoltés et les indifférents. (Paru dans Boudu)

C’était le 7 décembre 2016 au petit matin, les kiosquiers installaient à peine en rayon le treizième numéro de Boudu (une rétrospective de l’année écoulée avec en couverture les mots « Best of » en lettres d’or) quand un message de Michel Serres est arrivé à la rédaction.

Le philosophe et académicien français né à Agen d’un père pêcheur de sable, nous y reprochait durement d’avoir imprimé « Best of » plutôt que « florilège », et se disait déçu qu’un magazine toulousain dont le nom est une référence occitane, participe à l’invasion du globish.

Deux ans plus tard, l’épistémologue gascon n’a pas changé d’avis : « Vous êtes des ramenards ! raille-t-il par téléphone. En écrivant Best of, vous voulez montrer que vous ne parlez pas la langue du peuple, mais celle de la classe dominante. » Nous serions donc coupables, avec notre petit « Best of » de rien du tout, d’offense à la langue et de mépris de classe ?

Honteux et confus, nous sommes partis en quête de rachat, à la recherche de plus fautifs que nous… Premier coupable tout désigné : le monde de l’innovation, un milieu où les anglicismes règnent en maître, comme le constate quotidiennement Joël Echevarria, directeur général des services à la Toulouse School of Economics : « Les modèles de développement en provenance du monde anglo-saxon arrivent chez nous dans leur langage d’origine, et on ne s’embarrasse pas à chercher un équivalent français. Dans le monde de l’innovation, cela permet aussi de parader : en montrant qu’on connaît le mot, on fait croire qu’on maîtrise le concept. » Lire la suite

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